Par Dr Magali Bourrel Bouttaz — dermatologue, membre du GET (groupe d’éducation thérapeutique dans l’eczéma). À propos
Les fêtes de famille sont parfois le moment où toutes les histoires de famille, les difficultés relationnelles se réveillent..Pas de trêve pour l'inconscient... Il n'y a pas que l'alimentation, le froid...Les fêtes de famille peuvent être un facteur déclencheur de crises
Sommaire de la page
- Une histoire vécue
- Ce qui se trame dans les retrouvailles
- Retrouvailles /séparation
- Conflit de loyauté
1. Commencer par une histoire vécue.
Madame X. (nous l'appellerons Adeline) a de l'eczéma sur les mains, handicapant quand elle est en crise en raison de la douleur de crevasses. Elle en pleure, tellement elle aimerait s'occuper de ses enfants, les baigner, les câliner, mais la douleur est trop forte.
Ses multiples bilans ont éliminé toute association à un eczéma allergique. Elle souffre d'un eczéma atopique.
Le traitement global de l'eczéma lui permet de récupérer une peau quasi normale, une vie normale, sauf ... quand elle se retrouve en famille.
Le dernier exemple en date est le mariage de sa soeur. Elle s'était engagée à faire le bouquet de la mariée. Le simple fait qu'elle y pense, avant même
qu'elle ait acheté les fleurs fait revenir l'eczéma en masse sur les mains.
- Adeline sait qu'elle n'est pas la préférée de leur mère : si elle lui demande de garder ses enfants, il y aura toujours une raison pour ne pas pouvoir le faire, alors que pour sa soeur pas de problème, sa mère est toujours disponible ...
- Adeline aimerait avoir la force de sa soeur, sa capacité à répondre, son indépendance à ne pas souffrir du tempérament de leur mère.
- Adeline aimerait que sa mère arrête de lui demander comment va son eczéma avec le regard réprobateur d'être allée voir un allopathe qui utilise la cortisone.
- Adeline aimerait dire à sa mère qu'elle a souffert toute sa vie durant de l'eczéma, malgré tous les traitements " naturels" que sa mère avait choisis pour elle.
- Mais Adeline se tait et fait une poussée d'eczéma à la simple idée que sa mère va la juger sur la qualité du bouquet de fleurs de la mariée ...
Si Adeline n'avait pas une peau atopique, elle ne ferait pas de crise d'eczéma à ces moments particuliers de la relation à sa mère. Mais ayant une peau atopique, une vrai boucle psychosomatique s'est mise en place secondairement, l'eczéma rendant Adeline encore plus vulnérable qu'elle ne l'est déjà car tout le monde voit l'état de ses mains... Elle se sent coupable d'être ce qu'elle est, mais n'arrive pas à couper le lien négatif qu'elle entretient avec sa mère. Il lui faudra quelques années de psychothérapie psychanalytique pour arriver à ne plus réagir au comportement de sa mère, qui lui n'a pas changé du tout ...
2. Ce qui se trame dans les retrouvailles en famille
1. Impact de l'eczéma sur la vie de famille
Jalousie dans la fratrie à cause du temps passé pour faire les soins, Conflit de parents séparés autour de l'eczéma de leur enfant, Conflit au retour des vacances chez les grand-parents qui ne font pas le traitement " à la lettre", Epuisement dans la poursuite des soins, Culpabilité de la maman..., Marre de passer les vacances en cures thermales, Fatigue familiale , Envahissement de la vie familiale par l'eczéma, Relation trop fusionnelle entre la maman et l'enfant...
L'eczéma laisse son empreinte au sein d'une famille...
2. Impact de l'eczéma sur sa propre insécurité
C 'est mon travail de recherche sur les dessins d'enfants : l'eczéma empêche l'enfant de construire son schéma corporel normalement, il se construit en insécurité. Vivre et grandir avec un eczéma, c'est se construire dans la vulnérabilité, la fragilité, l'hyper sensibilité...
3. Impact de la famille sur l'insécurité de l'enfant
L'eczéma n'est pas une maladie psychosomatique, mais c'est une maladie qui prend vite la tête ... surtout si les parents ou l'un des parents a lui-même sa propre insécurité, voire pathologie. C'était le cas de cette patiente. Les mots sont durs mais la haine, le sadisme, la violence humiliante... toutes ces situations existent malheureusement même si elles ne sont pas fréquentes. Pour ceux ou celles qui se reconnaitront, c'est important de lire ces mots. Il lui a fallu beaucoup d'années d'effort, un mari très à son écoute pour lui redonner confiance, une psychothérapie pour se détacher du comportement de sa mère, sans peur, ni culpabilité...Et pendant tout ce temps, elle a traité ses poussées d'eczéma dès qu'elles apparaissaient afin de sauvegarder ses mains et sa qualité de vie.
Se retrouver en famille fait revivre tout ce qui s'est joué, inscrit pendant l'enfance, tant que l'adulte ne l'a pas re traité.
4. Retrouvailles et séparations sont les deux faces de la même médaille.
L'eczéma est souvent appelé la maladie de la séparation, tant le lien d'attachement s'est crée dans l'insécurité pendant les premières années de vie. Tout attachement sécure permet un détachement sécure, à l'inverse tout attachement insécure provoquera un détachement insécure. Tel est l'enseignement de B.Cyrulnik. Ainsi, toutes les retrouvailles font revivre ses épisodes insécures, un lien intouchable.
5. Les conflits de loyauté
Une autre patiente mentionnait le fait qu'elle allait beaucoup mieux depuis qu'elle avait compris l'eczéma et qu'elle se traitait correctement. Sauf que en cela, elle s'opposait frontalement à sa mère qui avait toujours été corticophobe, et l'idée que sa fille puisse aller mieux en dehors de ses choix à elle, rendait la relation à sa fille très tendue. Le problème en profondeur était que la patiente vivait très mal ce conflit et que cela lui provoquait une crise d'eczéma. Voilà un cercle vicieux, de type psychosomatique. La patiente avait fait un chemin vers son autonomie, mais elle n'était pas encore arrivée à la séparation complète d'avec l'avis de sa mère et de ses opinions...Se séparer, ne veut pas dire abandonner, bien au contraire, se séparer c'est se libérer.
6. Les fêtes en général
C'est l'occasion de comprendre comment les facteurs déclencheurs s'additionnent. Le moment des fêtes est l'occasion parfaite pour faire le listing.
L'alimentation
L'alimentation dans les moments festifs est en règle beaucoup plus riche, plus grasse, plus sucrée, plus salée...
Tout ce qui va aggraver le terrain inflammatoire. Sans compter les boissons, la bière, les sodas, le vin...
La sueur
C'est la fête, à la fête on danse! Un peu de sueur, il y a du monde, vous transpirez. Sueur et eczéma : un duo infernal. Voilà un autre facteur déclencheur
Le tabac
Même si les consignes sont mieux respectées qu'avant, le tabac ou autre s'invite souvent à la fête. Encore un autre facteur déclenchant les crises d'eczéma.
Les fêtes de fin d'année
Quant aux fêtes de fin d'année, elles peuvent encore rajouter les conflits de famille dont parle cette page + tous les facteurs déclenchant liés à l'hiver : le froid, le chauffage, les douches plus longues, les vêtements en matière synthétique, la pollution atmosphérique.
Alors que faire ?
Combien de facteurs déclencheurs se sont-ils cumulés en quelques semaines : 9 en tout !
- Identifier les facteurs déclencheurs permet de les anticiper : moins de douche, plus d'hydratation, que du coton sous la polaire ou les pulls en laine (sauf si c'est de la laine Mérinos), remplacer la crème fraiche des gratins par de la crème cuisine de soja, attention à la température des douches, aérez bien la maison.
- Anticipez la crise, et traitez vous à la cortisone le jour même de la fête. Vous court-circuitez la poussée et vous pouvez partager votre moment festif sans en payer le prix après.
- Surtout vous êtes libre de vos choix.